Biographie
Marilou Craft vit à Tiohtià:ke/Mooniyaang/Montréal, où elle est née d’une mère québécoise et d’un père haïtien. Ses études l’ont menée à obtenir un diplôme en études théâtrales, entre une tentative en création littéraire et une incursion en droit. Elle œuvre maintenant à accompagner et traduire la création, en arts vivants et en littérature.
En tant qu'autrice, elle a d'abord signé des articles, critiques et chroniques culturelles, avant de tourner son regard vers ses propres récits. Elle crée maintenant à partir des marges qu'elle habite et qui l'habitent, en cherchant la lumière et en se développant sans cesse. Sa pratique artistique est indisciplinée : poétique autant que performative, elle sonde les zones grises à l'intersection des genres, des identités, de l'intime et du collectif.
Certaines de ses courtes formes poétiques se sont glissées dans les revues Mœbius et Liberté, d’autres dans des recueils parus aux éditions Triptyque (Troubles, nos ombres, 2023 ; Pauvreté, 2021 ; Corps, 2018), La Mèche (Cartographies II : Couronne Nord, 2017) et Ta Mère (Des nouvelles nouvelles de Ta Mère, 2016). D’autres encore demeurent inédites, partagées seulement sur scène ou en ondes, seules ou accompagnées. Sa démarche est aussi collaborative, la menant à créer des performances interdisciplinaires en duo avec l’autrice Chloé Savoie-Bernard (À la racine, 2019 ; Repousses, 2019) et l'artiste multi-instrumentiste Elyze Venne-Deshaies (Veiller le souffle, 2020), et en groupe avec des artistes d'improvisation musicale. Elle travaille présentement sur un projet d'écriture poétique plus ample, sous forme de performance littéraire.
Pour en savoir plus sur ses activités : mariloucraft.com
Entrevue
Non! Je ne connaissais pas vraiment la poésie, et encore moins la poésie contemporaine. Je me rappelle seulement avoir analysé des poèmes d'Émile Nelligan, lorsque je fréquentais mon école secondaire publique lavalloise... Ce type de texte me semblait très loin de moi et de mes expériences! Je n'avais aucune idée que la poésie pouvait expérimenter d'autres formes, représenter d'autres points de vue, circuler autrement. Je ne m'imaginais pas qu'elle pouvait décoller de la page, être scandée, slammée, rappée, criée, vécue... Poursuivre des études en littérature, au cégep ou à l'université, ne m'a donc jamais particulièrement attirée, malgré mon amour viscéral des mots et de l'écriture. Ce n'est que plus tard, en suivant mon penchant pour les arts vivants, la musique et l'implication sociale, que j'ai rencontré d'autres incarnations de la poésie. C'est ainsi que j'ai réalisé que la poésie peut se trouver – et se créer – n'importe où.
J'en ai peut-être toujours écrit, mais sans le savoir. J'ai commencé à en prendre conscience par mes communications : mes ami·e·s, collègues et camarades m'exprimaient régulièrement que j'écrivais mes courriels, textos, publications et commentaires comme des poèmes. Lorsque je me suis mise à écrire des textes de création, c'était pour des contextes de performance. J'avais tendance à mettre ces textes en page comme en vers, pour suivre le rythme que je façonnais, architecturer visuellement l'expérience de lecture et d'écoute. Le résultat était clairement une forme poétique, mais c'était encore une fois inconscient. Lorsque mes premiers textes ont été publiés, on disait qu'ils étaient poétiques, alors que je ne savais pas moi-même comment les qualifier. Je disais seulement que j'écrivais des formes courtes, voire que mon écriture était indisciplinée. Lorsque j'ai été invitée à me joindre au comité de rédaction de la revue de poésie Estuaire, j'ai même répondu que je ne croyais pas savoir ce qu'était la poésie! Après mûre réflexion, j'ai accepté, mais sous condition de ne jamais devoir « savoir » ce qu'est la poésie. Je crois maintenant que la poésie ne s'apprend jamais vraiment, mais se rencontre, s'écoute, s'échappe et nous dépasse. Au fond, je suis peut-être poète parce que j'aime la poésie.
Pour moi, c'est une démarche d'observation et d'écoute, de soin, de relation. Il faut parvenir à percevoir le monde, le laisser nous traverser et nous bouleverser, mais y survivre suffisamment pour vivre, puis l'écrire. Traduire son rapport au monde pour que d'autres puissent en faire l'expérience, c'est un travail exigeant et vulnérabilisant. On doit d'abord remarquer, macérer, puis trouver comment traduire le sensible tout en le (et se) préservant. Je crois que travailler à être poète, c'est le travail d'une vie, littéralement.